Dans une enquête-choc réalisée à Abidjan, Radio-Canada met en lumière un phénomène inquiétant et de plus en plus sophistiqué : celui du broutage, ou l’arnaque amoureuse en ligne, perpétrée par des réseaux criminels ivoiriens visant principalement des Québécois. En tant que sexologue et coach en relations amoureuses, ce fléau me révolte, tant par sa violence psychologique que par sa complexité manipulatoire.
Un réseau bien rodé et lucratif
Le reportage nous plonge dans l’univers trouble des brouteurs. Ces escrocs numériques créent de faux profils séduisants sur les réseaux sociaux ou les sites de rencontre. Leur objectif : gagner la confiance émotionnelle de leurs victimes pour ensuite leur soutirer de l’argent. Le témoignage d’Alvin, un ancien brouteur repenti, illustre bien cette mécanique bien huilée où l’amour est simulé pour manipuler.
Selon Alvin, ce ne sont pas des cas isolés. Il parle de centaines de milliers de jeunes Ivoiriens impliqués dans ce « métier », certains ayant accumulé jusqu’à 700 000 euros. Un chiffre alarmant. Et là, comme experte, j’insiste : nous ne sommes plus dans la petite arnaque sentimentale. Nous sommes face à une forme de terrorisme émotionnel numérique structuré.
Le Québec, cible privilégiée
Le choix du Québec n’est pas anodin. Le français y est parlé, et surtout, selon les brouteurs eux-mêmes, les Québécois sont perçus comme plus naïfs, plus généreux, et moins méfiants que les Français. C’est une affirmation crue, mais qui s’avère terriblement stratégique pour les cybercriminels.
Dans un monde où la solitude numérique s’intensifie, les personnes vulnérables émotionnellement deviennent des proies idéales. Une femme récemment divorcée, un homme endeuillé ou une personne isolée dans une région rurale sont des profils que ces arnaqueurs ciblent méthodiquement.
Des outils sophistiqués pour une manipulation complète
Ce n’est pas seulement du tchat. Les brouteurs disposent d’une boîte à outils complète : faux passeports, faux documents médicaux, faux contrats, et même faux testaments. Ils montent des scénarios crédibles pour justifier l’envoi d’argent « en urgence ». Le tout avec l’aide d’infographistes habiles et de réseaux de blanchiment implantés au Canada.
En tant que coach, j’entends souvent des phrases du type : « Il avait l’air tellement vrai… il m’a même montré ses papiers. » Voilà pourquoi il est crucial de sensibiliser à la vérification des identités, notamment par appel vidéo, vérification croisée, ou signalement de comportements suspects.
Une emprise psychologique et spirituelle
L’un des éléments les plus troublants du reportage est l’usage de la spiritualité comme outil de domination. Des brouteurs vont jusqu’à faire appel à des marabouts pour « envoûter » leurs victimes. Photos enterrées au pied d’arbres sacrés, cheveux canadiens obtenus auprès de coiffeurs pour pratiquer des rituels : le niveau de manipulation frôle ici l’ésotérisme stratégique.
Cela démontre que pour plusieurs d’entre eux, l’escroquerie n’est pas qu’un stratagème économique, c’est presque une religion. Une idéologie où la victime devient un outil d’élévation sociale.
Un discours de justification : la dette coloniale
Un autre volet émerge dans les justifications des brouteurs : la « dette coloniale ». Ils rationalisent leur comportement en prétendant que l’Occident a exploité l’Afrique, et que c’est désormais à leur tour de « reprendre ce qui leur est dû ».
Ce discours revanchard alimente une acceptation sociale du broutage dans certaines communautés. Des familles vont jusqu’à encourager leurs enfants à escroquer des Blancs si cela permet de subvenir aux besoins familiaux. De telles dynamiques socioculturelles rendent la lutte encore plus difficile, car elles transforment une arnaque en acte héroïque collectif.
Quand l’amour devient arme
Comme thérapeute, je dois rappeler une vérité essentielle : l’amour est la plus puissante des émotions humaines. Lorsqu’il est manipulé, il peut briser psychologiquement, provoquer des dépressions, et même pousser au suicide. Plusieurs victimes développent un syndrome de stress post-traumatique, une honte paralysante, et une perte totale de confiance en soi.
Le broutage, ce n’est pas un vol d’argent. C’est un viol émotionnel. Et il faut que la loi, les plateformes de rencontre et les services de soutien psychologique prennent cela au sérieux.
Des réseaux implantés au Québec
Le plus choquant dans cette enquête est de découvrir que ces réseaux ne s’arrêtent pas à Abidjan. Des brouteurs sont installés directement au Québec, utilisant de faux papiers, des comptes bancaires multiples et blanchissant l’argent en toute impunité. Le Québec devient à la fois la cible et le terrain de jeu.
Malgré la création de la PLCC (Plateforme de Lutte Contre la Cybercriminalité) en Côte d’Ivoire, les résultats restent flous. L’enquête de Radio-Canada n’a pu obtenir aucun vrai bilan. Et selon Alvin, la corruption locale facilite les choses : un billet suffit souvent à se libérer.
Comment prévenir et guérir
- Éducation numérique : Il faut former les aînés et les personnes seules aux risques du web affectif.
- Encadrement des plateformes : Les sites de rencontre doivent améliorer la détection des faux profils et renforcer leur modération proactive.
- Soutien psychologique : Les victimes doivent pouvoir bénéficier de soutien sans honte ni culpabilité. L’isolement après une arnaque est souvent pire que la perte financière.
- Collaboration policière internationale : La lutte doit se faire à la fois ici et là-bas. Le Canada et la Côte d’Ivoire doivent coopérer plus étroitement.
- Changer la narration : Il faut briser le romantisme du « love scam ». Ce ne sont pas des amoureux, ce sont des criminels.
Réflexion finale
Cette enquête met un nom, un visage et une méthode sur une douleur invisible : celle de l’amour instrumentalisé pour le profit. Il ne s’agit pas d’un phénomène marginal, mais d’un business globalisé qui exploite la solitude, la gentillesse, et l’espoir amoureux.
En tant que professionnelle de la relation, je rappelle que l’amour véritable ne demande jamais d’argent, encore moins à distance, sans preuves, et sans réelle connexion humaine. Apprenons à poser des limites, à vérifier, à ralentir, car l’amour, le vrai, n’a rien à voir avec la précipitation ni avec les transferts bancaires.