Comment savoir si nous sommes toujours amoureuse? Ce qui nous lie à lui depuis des années, est-ce encore de l’amour? En quoi le doute est-il salutaire?
Lorsqu’il nous parle, nous ne l’écoutons que d’une oreille. Ses manies nous exaspèrent. L’idée de le retrouver le soir après le travail et d’encore se disputer nous hérisse. Loin de nous, il ne nous manque guère… Une impression vertigineuse nous envahit: celui qui a tant fait battre notre cœur, on ne l’aime plus. Mais voilà qu’on pique un fou rire quand il écrase une larme devant Titanic, qu’il se mêle maladroitement de bricoler ou qu’il nous lance un œil attendri quand on est de mauvaise foi… De nouveau, c’est l’évidence: c’est l’homme de notre vie. En amour, il y a des hauts et des bas, mais pourquoi ce doute qui nous taraude? On pense soudain à tous ces couples déprimants qui sont ensemble par habitude et qui n’ont plus rien à se dire, alors que l’aventure les attend au coin de la rue!
Dans notre cas, plus on y réfléchit, plus c’est confus. Se poser la question, n’est-ce pas déjà mauvais signe? «Au contraire, précise la psychanalyste Sylviane Giampino (auteure de Les mères qui travaillent sont-elles coupables?, Albin Michel, 2000), c’est le signe qu’on regarde toujours l’autre, qu’il ne nous est pas devenu indifférent.» Oui, mais alors pourquoi cette incertitude est-elle si angoissante?
«L’amour, personne ne sait exactement ce que c’est! Il résiste à toute définition. toutefois, on peut le reconnaître aux effets qu’il produit.»
Selon Sylviane Giampino, on reconnaît l’amour à l’énergie de vivre qu’il procure. «Parce que l’amour, personne ne sait exactement ce que c’est! Il résiste à toute définition. Toutefois, on peut le reconnaître aux effets qu’il produit: à l’énergie de vivre qu’il procure, au courage qu’il donne de dépasser certaines difficultés.» Justement, le doute intervient souvent à un moment où on se sent dans une impasse, où on n’a plus guère d’énergie. Mais attention, il faut faire la différence: est-ce de son côté que ça cloche ou du nôtre? Voici quelques cas examinés par Sylviane Giampino.
JE NE LE DÉSIRE PLUS COMME AVANT
La sexualité, baromètre de la santé du couple? C’est ce qu’on lit un peu partout. Du coup, dès que la libido flanche, on s’inquiète.
«Voilà sept ans que nous vivons ensemble. J’ai toujours su que la fougue des débuts ne durerait pas. Mais ce qui m’inquiète le plus, c’est que Pierre ne me fait plus d’effet érotique. Pourtant, j’aime ma vie tranquille avec lui. Mais lui souffre. Il est persuadé que si je ne le désire plus, c’est que je ne l’aime plus. Et, à force, je me le demande aussi. Il faut dire que je suis du genre difficile à satisfaire et que je m’ennuie si je n’ai plus de conquête à faire. Je sens qu’il s’éloigne. Alors, il devient urgent de savoir si je l’aime ou pas! Mais tout se mélange: la nostalgie des bons moments, la peur d’être abandonnée…»
Marie, 37 ans
Le désir sexuel est-il indissociable de l’amour?
Cette question est primordiale pour bien des couples, et les hommes et les femmes y répondent chacun à leur manière. Les hommes acceptent plus facilement que nous de désirer sans aimer, mais ils souffrent davantage d’être aimés sans être désirés. Il est d’autant plus difficile de trouver un accord dans son couple que la société n’a de cesse de véhiculer comme modèle un érotisme torride et permanent.
Comment y voir plus clair?
Certaines femmes ont besoin d’un minimum d’insécurité dans leur relation pour relancer leur désir. Mais Marie manifeste plutôt un manque de désir vital, qui s’étend à tout autre chose. C’est cela qu’il lui faut éclaircir. Car son couple semble n’avoir aucun projet. Or, l’amour meurt s’il n’est pas assorti d’un désir de vie, quelle que soit la façon dont il s’exprime: désir sexuel, désir de procréer, de voyager, de partager une passion, etc.
ENNUIE ET ÉLOIGNEMENT
J’AI TENDANCE À M’ENNUYER AVEC LUI
Entre vous, rien n’a changé et c’est bien là le problème! Votre vie est tissée d’habitudes. Même vos disputes vous assomment.
«Tous les soirs, il rentre à la maison, s’installe dans son fauteuil et lit le journal. Jamais je n’aurais pensé vivre avec une telle caricature de pantouflard. Quand j’étais plus jeune, il était l’épaule protectrice dont j’avais besoin: un travaillant, rassurant, qui voulait réussir et fonder une famille, mon rêve. Grâce à lui, j’ai tout ça, mais ma vie est vide. Il ne me raconte jamais rien. Alors, je le secoue, je lui fais part de mon insatisfaction de mère au foyer. Comme il est gentil et amoureux, il fait toujours des efforts pour me distraire. Difficile de ne pas aimer une perle pareille. Pourtant, j’aspire à plus de passion. Alors je doute: et si je m’étais servie de lui comme d’un marchepied, mais qu’en fait je ne l’avais jamais aimé?»
Sophie, 36 ans
Attention: régression
On se retrouve dans une position infantilisante quand on n’a que sa vie familiale et qu’on dépend d’un homme. Sophie continue de tout attendre de son mari, même sa réalisation personnelle! Le doute qu’elle entretient sur l’amour qu’elle lui a déjà porté n’est qu’un symptôme. En réalisant son «rêve», elle a perdu le sens de sa vie. Alors, elle cherche un coupable: parfois c’est lui, parfois c’est elle qui l’aurait «utilisé». Or, on se sert toujours de l’autre pour réaliser ses désirs; ça ne veut pas dire qu’on l’instrumentalise de façon perverse.
Comment y voir plus clair?
La vie amoureuse et familiale de Sophie semble accomplie. Son sentiment de vide et d’ennui est plutôt lié à son manque de vie sociale et culturelle. À elle de s’investir davantage à l’extérieur. Lorsqu’elle y trouvera une reconnaissance de sa valeur et saura donc un peu plus qui elle est, elle saura aussi mieux ce qu’elle ressent pour son mari.
NOS DIFFÉRENCES NOUS ÉLOIGNENT
Vos amies s’étonnent de votre couple mal assorti. D’ailleurs, vous avez du mal à trouver les bons arguments en ce qui le concerne.
«Jean, c’est vraiment deux personnes en une: adorable ou odieux. On se dispute depuis des années. S’il est humiliant, je le déteste de toutes mes forces. Pourtant, il suffit d’un dîner chez des amis pour qu’il redevienne drôle, plein d’esprit et là, je l’aime comme au premier jour. C’est cette alternance rapprochée qui m’épuise et me fait douter. Est-ce de l’amour ou un lien maladif? Le plus triste, c’est qu’on n’a aucun intérêt commun et qu’on n’apprécie pas les mêmes gens. Mais je me dis qu’il peut changer. Et lui me répète souvent: «Sans toi, je ne serais rien.»
Martine, 55 ans
Même si cela met à mal nos idéaux, il faut savoir que beaucoup de couples reposent sur un contrat.
Donc, pas sur de l’amour. Ici ce sont deux névroses qui s’équilibrent. Martine satisfait son narcissisme au contact de son conjoint: elle sent que sa valeur ne repose que sur le fait d’être la compagne d’un homme qui a une forte personnalité et qui a besoin d’elle. Lui se sert sans doute d’elle comme d’un élément stabilisateur, régulateur de ses propres déséquilibres.
Comment y voir plus clair?
Martine doit réaliser que son couple, parce qu’il est structuré ainsi, ne changera pas. À elle de se demander si elle veut ou non continuer. En général, il faut déculpabiliser les femmes qui continuent de s’illusionner sur l’amour dans leur couple. Car il y a de quoi redouter une rupture: on n’est pas certaine de pouvoir subvenir à ses besoins et psychologiquement, c’est un remaniement interne douloureux, qui touche jusqu’aux racines de l’être. Certaines, enfants, ont vécu des pertes qui les ont traumatisées et elles sont prêtes à tout pour ne plus en vivre de nouvelles.